Editorial

La feuille de route du projet SERAFIN-PH fixe comme tout premier objectif la construction de deux nomenclatures : la nomenclature des besoins des personnes en situation de handicap accueillies ou accompagnées par les Etablissements et Services Médico-Sociaux (ESMS), et la nomenclature des prestations de ces mêmes ESMS.


L’équipe projet, avec l’appui du groupe technique national et du Comité scientifique, a souhaité en préalable définir ce que l’on entend par besoins tant ce mot recouvre des notions différentes. C’est la démarche et le fruit de cette réflexion qui vous sont restitués dans ce deuxième numéro du journal de projet.


Ces travaux préalables, indispensables pour éclairer les bases d’un référentiel tarifaire, dépassent ce seul aspect : en partant de la définition des besoins des personnes en situation de handicap, cette démarche interroge nécessairement les réponses qui sont apportées ou non, leur ajustement au plus près des besoins et nos organisations. En cela, ces travaux seront inspirants et structurants pour d’autres chantiers conduits simultanément que ce soit la question des orientations proposées par les Commissions des droits et de l'autonomie des personnes handicapées (CDAPH), le développement de réponses inclusives ou les systèmes d’information.


Ces travaux sont conduits avec une double approche : s’inscrire dans le droit fil des textes fondamentaux internationaux et s’appuyer sur les outils et réponses que les acteurs de terrain ont déjà pu expérimenter ainsi que sur le recueil de la parole des personnes concernées.


Ces travaux préalables sont indispensables pour penser les évolutions structurelles et ne pas figer les organisations historiques. Car il s’agit bien à terme de bâtir une tarification pour les ESMS d’aujourd’hui mais aussi pour ceux de demain.

Geneviève Gueydan
Directrice de la CNSA

Pour élaborer une nomenclature des besoins, l’équipe projet SERAFIN-PH a proposé au groupe technique national (GTN) la démarche suivante : l’équipe projet documente le sujet à l’ordre du jour, en l’occurrence les besoins. Elle soumet au groupe technique national les informations qu’elle a pu rassembler et organiser. Le groupe technique réagit en séance sur la base du diaporama présenté puis par mail sur la base d’une note rédigée reprenant, cette fois de façon littéraire, l’état des réflexions. Afin de s’appuyer aussi sur les expériences de terrain, les membres du groupe technique national ont été invités soit à faire une présentation, soit à transmettre à l’équipe projet les outils qu’ils ont pu construire, ou dont ils ont pu avoir connaissance. Ces remontées d’informations viennent enrichir la production du groupe, renforcer la cohérence avec la démarche nationale et lui donner du contenu. Les membres du groupe technique peuvent donc par mail puis lors de la réunion suivante amender la note jusqu’à ce qu’elle soit stabilisée au niveau du GTN. Cette note est ensuite présentée aux membres du Comité scientifique afin de recueillir leurs avis, leurs conseils et bénéficier de leur expérience nationale et internationale. Cette démarche itérative vise à s’accorder sur les lignes de force qui vont ensuite structurer la construction des outils.


Ainsi les travaux ont permis de répondre à quelques questions qui vous sont présentées ici :


Existe-t-il une définition des besoins des personnes en situation de handicap dans les textes fondamentaux internationaux ?


Il n’existe pas de définition du mot « besoins » dans les textes fondateurs de l’ONU ou de l’Union européenne ; que ce soient la convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 13 décembre 2006 et ratifiée par la France, la charte des droits fondamentaux de l’Union européenne de 2000, le Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne ou la stratégie Européenne 2010-2020 en faveur des personnes handicapées. Ces textes sont résolument tournés vers les mesures visant à assurer l’autonomie des personnes, leur intégration sociale et professionnelle, et leur participation à la vie communautaire (article 26 de la charte des droits fondamentaux). Ils s’inscrivent dans un processus de non-discrimination et d’aménagement de la société pour que celle-ci soit plus inclusive.

Existe-t-il déjà des modèles permettant de décrire les besoins ?


Plusieurs modèles de description des besoins ont émergé au cours des dernières décennies. La pyramide de Maslow est parmi les plus connus. Pâle réponse à une définition des besoins, elle est incomplète et introduit une hiérarchie entre les besoins qui a été immédiatement critiquée. Le modèle proposé par Virginia Henderson dès 1947 s’inscrit essentiellement dans un objectif de soins. Or, la notion de besoins a évolué y compris dans la formulation de l’objectif à atteindre. Il ne s’agit pas de répondre à la dépendance mais de cibler l’autonomie de la personne, son autodétermination, la compétence ou le bien-être, renvoyant ainsi à la participation citoyenne.

La législation et la réglementation peuvent-elles nous aider dans la description des besoins ?


Le Code de l’Action Sociale et des Familles (CASF) utilise plus de 250 fois le mot besoins sans toutefois le définir.
L’article L.116-2 du CASF prévoit que « l’action sociale et médico-sociale est conduite dans le respect de l’égale dignité de tous les êtres humains avec l’objectif de répondre de façon adaptée aux besoins de chacun d’entre eux et en leur garantissant un accès équitable sur l’ensemble du territoire ».
Le mot besoins est utilisé à la fois pour le rapporter à une personne (par exemple dans l’article L.116-2 ci-dessus) mais aussi à une approche collective (par exemple l’article L.312-4 sur les schémas d’organisation sociale et médico sociale qui apprécient la nature et l’évolution des besoins sociaux et médico-sociaux de la population).


La construction d’une nomenclature de besoins doit-elle reposer sur une description des besoins individuels ou une description des besoins collectifs ?


Il n’y a pas  d’opposition entre besoins individuels  et besoins collectifs ; les deux niveaux doivent correspondre. Le repérage des besoins d’une personne se fait dans un processus permanent d’analyse de ses attentes, de sa demande et d’évaluation pluridisciplinaire prenant en compte l’environnement. La détermination des besoins collectifs relève de la même démarche : un diagnostic territorial partagé, un repérage des besoins des personnes dans un territoire donné, avant la définition des réponses à apporter.

Les besoins se distinguent donc d’autres notions complémentaires dont il convient de tenir compte mais qui ne peuvent être confondues : la demande, le projet de vie, l’évaluation individuelle, les plans et projets personnalisés …

Il est indispensable de bien distinguer les différents moments : celui qui permet l’expression par la personne et son entourage des besoins ressentis et des attentes, le projet de vie, du temps de l’évaluation pluridisciplinaire, pour aboutir à l’objectivation des besoins. De même ne peuvent être confondus, alors que c’est bien souvent le cas, les besoins tels qu’identifiés précédemment et les réponses. Situés en amont ou en aval de l’identification des besoins, ces différents temps constituent un chaînage indispensable pour la construction des réponses.

 
Pour illustrer le propos, on ne peut considérer que les besoins d’une personne se résument à l’attribution  d’une place en établissement. Il existe plusieurs  façons de construire la réponse aux mêmes  besoins : en fonction des désirs des personnes, des ressources disponibles, des politiques conduites… Dans les pays qui ont conduit une politique de désinstitutionalisation radicale, les besoins des personnes sont restés identiques mais les réponses ont été profondément modifiées. En France le choix est fait d’une «inclusion accompagnée» permettant prioritairement l’accès aux dispositifs de droit commun, la pleine participation sociale des personnes en situation de handicap, tout en garantissant des réponses institutionnelles et collectives répondant aux besoins des personnes qui, à un moment donné de leur parcours, ou durablement, le nécessitent.

Repérer les besoins des personnes nécessite qu’on s’accorde sur le plan d’analyse de ces besoins.


Jusqu’en 2001, l’Organisation Mondiale de la Santé a proposé une classification des handicaps (Classification Internationale des Handicaps : déficiences, incapacités, désavantages-CIH) fondée sur un modèle largement biomédical.
Cette classification venait compléter la Classification Internationale des Maladies (CIM). Elle suggérait que le handicap pouvait être décrit par des caractéristiques propres aux personnes handicapées. Elle proposait une approche sur trois axes découlant les uns des autres : les déficiences, les incapacités, les désavantages.


En 2001, le nouveau modèle de classification proposé (Classification Internationale du Fonctionnement, du handicap et de la santé-CIF) bouleverse très profondément l’approche du handicap puisque l’approche concilie à la fois les caractéristiques individuelles et les facteurs contextuels, en particulier environnementaux. Le handicap ne peut continuer d’être appréhendé par des caractéristiques personnelles négatives ; il est largement lié aux barrières que la société génère. Le handicap peut, en effet, être amoindri grâce à une transformation de l’environnement facilitant la participation des personnes, citoyens à part entière. C’est donc une approche multidimensionnelle.


Cette évolution, dans le droit fil des textes fondateurs internationaux précédemment cités, amène donc à considérer que les besoins des personnes sont de pouvoir accéder sans discrimination aux droits de l’homme et libertés fondamentales. Le GTN s’est accordé pour considérer que cette analyse décrite par la CIF est pertinente. Les réponses qui en résulteront seront individuelles et sociétales, les concernant et concernant leur environnement.


Comment tenir compte dans la construction de la nomenclature  « besoins » des outils qui existent déjà sur le terrain ?


Le GTN a démontré que bon nombre de professionnels ont d’ores et déjà construit des outils, soit pour évaluer et identifier les besoins des personnes (approche individuelle) permettant ainsi l’élaboration de réponses personnalisées (plan de compensation, projet personnalisé de compensation, plan personnalisé de scolarisation), soit pour planifier les réponses collectives dans le cadre des schémas.


Il a transmis à l’équipe-projet les principales grilles utilisées pour qu’une analyse critique puisse en être faite et servir à l’élaboration de la nomenclature. Vingt grilles ont ainsi été collectées. La plupart d’entre elles sont cohérentes avec le GEVA utilisé par les CDAPH dans les Maisons départementales des personnes handicapées, lui même en cohérence avec la Classification Internationale du Fonctionnement du handicap et de la santé (CIF).


La nomenclature qui sera bâtie par l’équipe projet et le GTN pourra donc s’appuyer sur les compétences, savoirs faire et retours d’expériences des acteurs de terrain.


Comment prendre en compte la parole des personnes en situation de handicap ?


Outre que les personnes handicapées sont représentées par les associations participant au groupe de travail national, plusieurs associations se sont accordées pour qu’un recueil de la parole des usagers soit recherché selon une méthode qui sera élaborée collectivement dans un groupe ad hoc.


Quel est le rôle du Comité scientifique ?


L’ensemble de ces travaux a fait l’objet d’une note sur la sémantique des besoins dont l’essentiel est présenté ici. Elle constitue le socle sur lequel les membres du GTN se sont accordés pour construire la nomenclature. Le comité scientifique a souligné la complexité d'une recherche de définition des besoins en économie puisque ceux-ci sont eux-mêmes dépendants de l’offre. A contrario, dans le domaine social, la notion de besoins s’analyse au regard de ce dont la population générale dispose (non discrimination). Le Comité scientifique a également pour rôle d'apporter des éléments sur les processus de désinstitutionalisation qui sont mis en œuvre dans différents pays européens.

Quelles sont les prochaines étapes ?


Cette première étape ayant permis de s’accorder sur les principes, le groupe technique national s’engage dans la rédaction de cette nomenclature. Cette même méthodologie est utilisée pour définir la notion des prestations et élaborer une nomenclature de prestations. Cette première version sera testée auprès d’ESMS volontaires (2016). Parallèlement un échantillon d’ESMS volontaires s’engagera dans une enquête de coûts.


Par ailleurs, les travaux conduits au sein du groupe de travail conduisent à aborder des questions qui touchent également d’autres chantiers. A titre d’exemple, ceux portés par la mission « une réponse accompagnée pour tous » confiée à Marie-Sophie Desaulle, l’élaboration du volet médico-social des Répertoires Opérationnels de Ressources (ROR), chantier porté par les ARS avec l’appui de l’ASIP (Agence des systèmes d'information partagés de santé), le tableau de bord médico-social de la performance…Le croisement de ces réflexions est un gage de cohérence et d'enrichissement mutuel.